8h38 à la gare.
Elle est là, ouvre la porte côté passager, s’assoit et me regarde.
J’ai du mal à croire ce que je vis, à cet instant précis. Il est 8h40.
Voilà un mois que nous conversons par SMS.
Sixtine, ma Dominatrice parisienne m’a mis en relation avec une jeune et future soumise, ingénue et novice qui attend ce jour de décembre pour « voir » ma deuxième séance avec Sixtine.
Jusqu’à cet instant, ce dimanche pluvieux, un peu surréaliste, c’est juste un fantasme, un rêve. Comment imaginer qu’une jeune femme inconnue accompagne un homme de 65 ans à Marseille pour assister à cette partie intime, regarder les coups et les humiliations et peut-être y participer ?
Elle est pourtant là, sereine et déterminée, souriante et magnifique du haut de ses vingt ans.
C’est une très jeune femme, belle, brune, longue et fine, vêtue comme n’importe quelle fille de son âge…
Nous sommes partis. Autoroute, direction Marseille. Deux heures ensemble. Je dois être discret, courtois, élégant, ni intrusif, ni vulgaire. Cela m’est facile puisque j’aime ces « valeurs », ces marques de bonne éducation et puis, il y a bien sûr ce qui nous rapproche, tout ce monde que je connais puisque je m’y suis reconnu, un soir de 1999, avouant et vivant pour la première fois ce qui n’était que rêves et fantasmes.
Elle donne le ton. Son discours est ouvert, clair, amusant et vrai, intelligent et sans ambages. Elle aime la vie et les plaisirs d’une jeunesse qui découvre et qui jouit de l’instant. Elle aime aussi ce qui est interdit, ce qui ne semble pas encore de son âge, ce qui m’émeut aussi puisque je suis pareil. Nous échangeons sur ces pratiques dont j’ai le goût et l’expérience. Je comprends qu’elle dit vrai, qu’elle est faite ainsi, qu’elle ne ment pas. Le trajet de deux heures vers l’hôtel de Sixtine, ne dure qu’un instant. Mes bavardages, le récit de mes histoires, de mes amours barbares lui plaisent, lui parlent. Elle sait déjà tout au fond de son âme si juvénile et pourtant déjà bien mise. Aucun tabou, aucune ellipse. L’échange est franc, direct, les mots sont crus, le sexe est partout, simple et dru. Elle fait partie de ses femmes qui assument leur liberté, leurs désirs et leurs jouissances. Elle est comme moi. Tout vient de très loin, de l’enfance et des fantasmes que j’ai mis tant de temps à reconnaître, puis à dépasser. Elle a vingt ans et déjà grande, je suis son père BDSM, je suis son grand frère de sang, je deviens son complice en quelques minutes. Nous nous comprenons tout simplement. Nous parlons de la même chose, d’un même cœur barbare, d’un même sang, des mêmes lianes et des mêmes tourments, des mêmes marques, de la même brûlure, des mêmes jeux qui animent notre ventre, des mêmes danses du feu, du joug et de son univers délicat, élégant, de la même esthétique du corps et de ses liens.
Je lui explique que j’aime être soumis autant que de soumettre, préparer la salle, mettre les guirlandes noires et les fouets de cuir, tous ces objets que l’on pourrait croire cruels mais qui sont beaux et ne sont là que pour faire monter et transcender le plaisir à venir, en faire une chose sublime, l’expérience d’un désir secret qui explose sans violence après des heures et des heures de savante préparation du corps et de l’esprit.
Nous arrivons. Nous sommes en avance, allons boire un café en face de l’hôtel : l’inscription « Hôpital d’adultes » en gros caractères rouges, devant nous, est décalée et elle en fait un signe amusant, une protection. Nous devenons petit à petit, immédiatement, amis à force d’être acolytes et d’aimer la même chose.
Chambre 404. Une ou deux extrasystoles, appréhension passagère, mon envie d’être là se sent, doit se voir.
Madame nous ouvre, souriante et directe. La jeune fille se sent à l’aise, se change, une robe blanche de soumise et de hauts escarpins noirs.
Déshabille-toi. L’ordre est donné. Je ne ressens pas la moindre gêne d’offrir mon sexe épilé et vivant au regard de la soumise avec qui je discutais de la vie quelques minutes auparavant.
La séance peut commencer. Je suis nu sur le dos, un champ chirurgical posé sur mon ventre et ouvert au centre, dévoilant l’objet de la torture.
Je n’ai aucune crainte, Sixtine est une experte, délicate et agile. la jeune fille, à genoux, regarde mon sexe puis me regarde, profondément, intensément, comme une voyeuse avide et franche qui me dit tout son plaisir d’être là, agenouillée et pourtant fière.
Je comprends soudain. Sixtine m’explique qu’elle est là pour apprendre, apprendre à devenir une maîtresse et pouvoir soumettre son expérience à des femmes et des hommes asservis dont elle a le goût. Elle ne touche pas, regarde, détaille n’en perd pas une miette. Elle voudrait être à la place de Sixtine mais elle ne peut pas, pas encore. Elle doit être « éduquée », toute son ambiguïté, toute la mienne aussi. Ma soumission au joug de ma maîtresse est un leurre puisque nous sommes complices. C’est avant tout un partage, nous sommes deux dans cette affaire. Nous sommes trois, aujourd’hui, c’est encore plus excitant, le jeu devient plus subtil et puis il faut bien qu’il y en ait un qui reçoive les coups.
Le premier coup d’aiguille est divin, point exquis « douloureux ». Je bande, mon plaisir et mon excitation apportent un jour nouveau à cette lubricité . Nous sommes donc trois. Je suis ravi !
Deux femmes, une, experte et délicate, pleine de vice et de sensualité, l’autre, future barbare, si jeune si élégante, ravissante dans son apparente candeur.
Madame a décidé de me coudre les bourses autour de mon sexe qui ne veut pas rentrer dans son nouveau sac. La patience et la lenteur de son fil dont l’extrémité est une aiguille courbe font leur délicieux travail. Mon offrande est prête. Je n’ai plus de sexe, je deviens femme ! On photographie mon intimité en émoi. J’en souris d’aise.
Sixtine salive devant cette nouvelle chair, son œuvre impudique mais vivante. La soumise peut rougir, son plaisir de voyeuse est un péché de luxure.
Les commentaires gardent mon érection intacte. Madame va s’occuper de ce petit trou béant qui attend sa punition. Elle prend mon sexe sorti de sa nouvelle bourse et détaille à notre invitée cette anatomie particulière qui termine le pénis par cette délicieuse ouverture que l’on nomme méat.
Elle en presse le contour pour mieux faire battre ce cœur de sexe et ouvrir le trou. Elle présente la petite sonde d’acier dont le bout ressemble à un minuscule gland de chrome. Je n’en perds pas une miette. La douleur est enchantée, l’objet durcit mon gland par l’intérieur. Les doigts agiles de Sixtine vont et viennent. Elle me branle par le dedans. Je sens à tout moment que ma jouissance peut venir mais mon sperme ne peut s’échapper. Plaisir insensé, se retenir ne sert à rien. Elle masturbe de l’autre main mon pénis qui s’affole de tant d’outrages et de débauche honteuse, avilissante mais adorée.
Madame commente la technique, son savoir faire, la jeune élève écoute, excitée de ce nouveau rôle, elle se retient de participer à ce nouveau plaisir barbare. Ses fantasmes exaucés par la main de celle dont elle aimerait devenir l’esclave se voient dans son regard qui n’a plus rien de candide.
Mais la séance n’est pas finie. Le scalpel est exposé. Les doigts de Sixtine munis de cette lame s’approchent de ma bourse, entaillent sans bruit la peau si fine de l’endroit. Elle coupe ensuite l’intérieur de ma cuisse. Je me retiens de saigner, mon sexe érigé témoigne de ma lubricité. Elle frotte la robe blanche de la voyeuse de mon sang qui coule à peine. Le tissu est taché troublant davantage encore cet implacable scénario. Pasolini doit se frotter le sexe et le divin marquis écrire ses commentaires salaces à Justine.
Après tout ce raffinement, me voilà à genoux, cambrant mon cul pour mieux l’offrir à ces deux jeunes femmes. La délicieuse fessée chauffe ma peau. Le bruit des claques donne à cet instant la résonance brutale qui convient. Un « coup de réel » aussi. J’en veux encore. La soumise en souhaite 26. Le fouet est exquis, délicieux. Je suis au bord du gouffre, celui du plaisir rare et bestial, enfin partagé
Madame me découd, tire le fil, coupe l’aiguille. Je sens à peine le nylon qui glisse dans ma peau chauffée à blanc.
C’est fini, il faut laisser sa place. Je voudrais que ça ne s’arrête pas.
Nous buvons une coupe, trinquons à la santé de nos jeux exquis.
Nous nous disons comme de bons camarades à bientôt.
La jeune fille monte dans la voiture.
Retour-arrière, chemin du retour, le match après le match, les commentaires, la jolie complicité.
Il pleut, la route est noire, noire comme nos âmes damnées. Jubilatoires, effrénés, jusqu’au boutiste, nos corps sont faits ainsi, jusqu’au bout de la vie. Nous revenons sur cette passe, le toréro, c’est moi, le taureau c’est elle ou bien l’inverse, toi, tu es pour le moment notre mémoire du haut de tes vingt ans.
Je me souviens à peine de tout notre discours. Tu me parles de domination, en formation. C’est ton goût, c’est ton péché, personne n’y peut rien. Je pourrais être ton soumis, ton mentor si l’on rêve. Nous parlons de tout, de ton travail, de musique, de jazz. Je ne m’arrête pas de parler. Je suis bien avec toi. Tu sais tout de moi et moi presque tout de toi. Il n’y a pas de hasard disait Eluard, il n’y a que des rendez-vous.
Il est déjà l’heure, nous voilà devant chez toi, tout près de chez moi quand j’avais moi aussi vingt ans. Comme tout cela fait sens. Grâce à l’exigeante Sixtine nos histoires se mélangent, étrange complicité, aucune barrière, aucune différence, nous nous sommes connus, nous nous sommes reconnus comme si mon chemin si long déjà avait toujours croisé le tien, comme si le tien qui commence à peine avait toujours attendu ce long dimanche, si riche, si plein dont on pas fini de parler.
Un prétendu prétendant